L’un des exercices respiratoires les plus connus en yoga est celui où l’on respire en bouchant et en débouchant avec la main chaque narine à tour de rôle (100% d’ouverture sur une narine, 0% sur l’autre). On appelle cette technique la respiration alternée (Nadi Shodhana ou Anuloma Viloma). Ce qui est moins connu, c’est que cet exercice constitue la prise en main volontaire d’un processus naturel automatique appelé cycle nasal, orchestré par l’hypothalamus via le Système Nerveux Autonome (SNA). Chaque demi-cycle dure en moyenne 1 à 3 heures, pendant lesquelles une narine devient dominante (60 à 75% du flux ventilatoire) et l’autre se met en repos relatif (25 à 40% du flux ventilatoire). Lorsque le processus s’inverse et que la dominance passe de l’autre côté, cela constitue un cycle complet. La durée totale d’un cycle varie donc de 2 à 6 heures selon les individus et selon le niveau d’effort. Pendant le sommeil profond, il peut se prolonger jusqu’à 7-8 heures, tandis que l’effort physique tend à le raccourcir à moins de 2 heures.
Pratiquer la respiration alternée produit un effet mental significatif permettant de se recentrer, calmer le système nerveux, réduire la fréquence cardiaque, déstresser, améliorer la concentration. La posture du corps influence aussi le cycle: se tourner sur le côté favorise la congestion de la narine du dessous et la décongestion de la narine du dessus, accélérant ainsi l’alternance entre les deux narines. Se coucher sur le dos, en shavasana, au contraire, tend à symétriser le débit de chaque narine.
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Je me trouve dans quelle phase de mon cycle nasal ?
Pour répondre à cette question, bouchez-vous la narine gauche, prenez une grande inspiration par la narine droite et évaluez la qualité du débit d’air: la moindre résistance, la sensation de fraîcheur, la fluidité de l’écoulement. Expirez dans la même narine, en restant attentif à la manière dont l’air circule. Faites la même chose de l’autre côté, comparez le ressenti à droite et à gauche. Répétez plusieurs fois l’observation si nécessaire. Pour certaines personnes, la différence de ressenti entre les deux narines est flagrante et immédiate. Pour d’autres, il vaut mieux réessayer à un autre moment. Normalement, vous devriez constater qu’une narine est plus «ouverte» que l’autre. Si vous ne constatez aucune différence, il est probable que vous vous trouvez dans la courte période (5 à 10 minutes par cycle) où les deux narines sont parfaitement égalisées à 50/50. Ce moment suspendu ressemble à l’«étale», le laps de temps entre marée descendante et marée montante.
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Les deux phases du cycle
1) Narine la plus ouverte : décongestionnée, en vasoconstriction
Quand l’activité sympathique du SNA (Système Nerveux Autonome) prédomine, elle provoque une vasoconstriction des vaisseaux sanguins des cornets nasaux : ces derniers se dégonflent, l’air passe plus librement. Lorsque la narine concernée est la plus ouverte, la température, l’humidité et la filtration de l’air sont un peu moins régulées en raison du haut débit ventilatoire. En revanche, la ventilation et l’olfaction deviennent optimales.
2) Narine la plus fermée : congestionnée, vasodilatée
Quand l’activité parasympathique domine, il y a vasodilatation: les cornets se gonflent, le débit d’air est réduit, la muqueuse devient plus chaude et plus humide. La protection contre l’extérieur est alors renforcée: dessèchement réduit, filtration des poussières et des agents pathogènes optimisée par le mucus, meilleure régulation thermique et hydrique de l’air entrant. En cas d’infection, la muqueuse de la narine s’enflamme et gonfle, elle se congestionne davantage et passe en mode «repos et protection renforcés». Le mucus s’épaissit et demande à être évacué par le mouchage. C’est grâce au cycle nasal que, même avec le nez bouché, une narine reste toujours au moins partiellement ouverte et permet de continuer à respirer de manière acceptable. La narine congestionnée augmente la surface de ses muqueuses internes (au niveau des cornets nasaux hypervascularisés), ce qui maximise le réchauffage, le filtrage et l’humidification de l’air inspiré.
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Pour résumer: Le but du cycle nasal (comme tout cycle physiologique) est d’alterner repos et action. L’hypothalamus agit comme un chef d’orchestre: il module l’équilibre entre activité sympathique et parasympathique, ce qui contrôle la vasoconstriction et la vasodilatation des cornets nasaux. On fait tout le temps de la respiration alternée sans y penser.
1) Repos (narine «fermée») = protection active + homéostasie optimale (réchauffage, filtrage immunitaire, humidification).
2) Action (narine « ouverte ») = ventilation généreuse + olfaction maximale.
On peut comparer le cycle nasal à deux voies routières : l’une totalement ouverte pour absorber le trafic (ventilation et olfaction libérées), l’autre réduisant considérablement son débit pour intensifier les travaux de maintenance (immunité, filtration, thermorégulation, humidification). Les deux narines forment un couple symétrique et complémentaire, échangeant régulièrement leurs fonctions au fil de la journée et de la nuit.
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