La critique de la notion de propriété constitue le fil rouge de l’enseignement des yoga-sutras de Patanjali, référence majeure pour la compréhension de notre pratique.
Attachement, appropriation, appartenance, possession, amour, possessivité, jalousie ont à voir avec le besoin de mettre toutes les chances de son côté pour sécuriser le corps, le psychisme, l’espace privé, la famille, les amis, le village, la ville, le pays, la planète contre tout ce qui menace leur intégrité et leur bien-être.
Pour qui veut rester fidèle à l’esprit de Patanjali (et à nombre de grandes traditions), mener une vie spirituelle exige de remettre en question la légitimité à tous les niveaux de son statut de propriétaire et de son droit à limiter la liberté d’autrui, dans un esprit de mutualisation collective, au nom du droit des autres (« les autres » au sens large, toute espèce confondue) à disposer à leur façon du monde.
C’est une pensée très populaire en France, avec la phrase bien connue: « Ma liberté s’arrête où commence celle des autres » qui paraphrase l’ouvrage « De la liberté » du philosophe anglais John Stuart Mill (1859): « La seule liberté qui mérite ce nom est celle de poursuivre notre propre bien à notre manière, tant que nous ne cherchons pas à priver les autres de la leur, ni à entraver leurs efforts pour l’obtenir. »
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On pourrait s’en tenir là et considérer que le partage équitable des ressources dans un esprit de respect mutuel est la pensée ultime au delà de laquelle il n’y a plus rien d’intéressant à penser.
Mais le fait est qu’on ne comprend rien au monde autour de nous si on ne voit pas qu’il y a une autre pensée en tension constante avec la pensée du partage, c’est la loi du plus fort.

« La seule propriété véritable, c’est la propriété de soi-même, tout le reste est une illusion. » (Max Stirner, L’Unique et sa propriété, 1844, chap.7)
Max Stirner, philosophe radical et controversé, se moquait bien des revendications d’autrui à la propriété légale et considérait que le droit est moins légitime que la force, que la volonté primitive de s’approprier les choses. Stirner ne voyait pas le monde en termes de droits et de devoirs mais en termes de rapports de force. Est libre celui qui ne se soumet ni au droit, ni aux lois, ni à l’État, ni à la morale.
La notion de propriété, pour lui, ne se limite pas à la possession matérielle légale, mais à la souveraineté sur soi-même, sur ses actions, ses pensées et ses désirs et sur la force dont on dispose pour protéger ce qu’on possède. Toute autre forme de « propriété » (morale, légale, juridique) est pour lui une aliénation.
Stirner ne croit en rien et surtout pas en un ordre social juste, libertaire, équitable et mutualisé. C’est un des représentants les plus purs de l’anarchisme individualiste dont le seul projet est de s’affranchir de toute forme d’aliénation collective.

À la célèbre devise anarchiste « ni dieu ni maître), Paul Claudel a répondu: « Choisir Dieu est le seul moyen radical de n’avoir aucun maître. »
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