Ce sont les cinq kleshas des yoga-sutras de Patanjali.
Les yoga-sutras de Patanjali pose l’idée que la souffrance (« dukha » ) a beau être inhérente au fonctionnement normal de chaque être humain dans la vie quotidienne, on a besoin de savoir s’en libérer, de manière temporaire ou définitive.
Nous commençons à « souffrir » dès lors que nous n’arrivons plus à régler nos problèmes, dès que nous avons le sentiment de faire fausse route, de ne plus parvenir à nous orienter de manière juste, correcte, authentique dans la vie.
Deux perspectives s’offrent alors:
1) Arrêter de penser, mettre ses problèmes de côté, mettre son cerveau « en vacances ». (Si ça nous suffit, tant mieux, pas besoin alors de recevoir un enseignement quelconque, on est déjà équipé de toutes les réponses suffisantes pour mener sa barque.)
2) Penser autrement, penser à autre chose, changer de perspective, pour faire en sorte que penser fasse moins souffrir, en nous référant notamment à un corpus de pensées heureuses et lumineuses sur lesquelles on apprendra à s’appuyer.
Le yoga, en tant que voie de développement spirituel, rassemble ces deux perspectives (ne plus penser, penser autrement) dans sa pratique attentive et méditative posturale, et dans son enseignement qui vise à éclaircir les choses, en offrant des pensées positives.
Faire du yoga en le résumant à « ne plus penser grâce à des mouvements et à des postures du corps » , c’est une conception tout à fait défendable, mais ce serait identifier le yoga à la pratique sportive ou à l’expression artistique.
Le yoga comprend une dimension doctrinale, facultative pour certains, nécessaire pour d’autres.
Il est tout à fait possible de « penser » à ce que c’est le yoga, en faisant du yoga, tant que les pensées qui nous traversent viennent de l’enseignement du yoga et structurent une issue méthodique à la souffrance.
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Une des idées centrales des yoga-sutras est que la souffrance humaine naît de l’ignorance de notre véritable nature. Cette idée s’exprime dans la définition célèbre: « le yoga est l’arrêt des fluctuations du mental » (« Yogas citti vriti nirodah« ).
Insistons là-dessus, le yoga peut être entendu comme le choix volontaire d’arrêter de tout vouloir comprendre de manière compulsive, de vouloir tout rationaliser, de « mentaliser » sans fin. « Faire du yoga » c’est entreprendre de se discipliner méthodiquement afin d’apprendre à sortir à volonté du mental pour se placer au seul niveau de la conscience pure, c’est-à-dire, pour parler en langage clair, à ne plus penser à rien, à passer dans un état méditatif détaché de tout objet mental (le corps n’étant pas vécu comme un problème mental à résoudre mais comme le lieu par excellence du lâcher prise). Le but du yoga devient l’union heureuse à soi dans le moment présent, sans chercher autre chose de midi à quatorze heures. L’herbe n’est pas plus verte ailleurs (en tout cas pour le moment.)
On voit que l’arrêt c’est certes l’arrêt des fluctuations du mental mais c’est aussi et surtout l’entrée dans le champ unifié de la conscience pure.
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La souffrance vient de notre confusion à propos de qui nous sommes réellement (nous sommes conscience pure et universelle). La pratique du yoga vise à dissiper cette confusion en donnant à notre conscience individuelle un seul objet: la métamorphose en conscience universelle.
Souvenons-nous que tout ce qui est « universel » est nécessairement « métaphysique », c’est-à-dire infiniment ouvert à toute forme corporelle et mentale, sans aucune exception, qu’elle existe ou qu’elle soit chimérique.
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Pour aider à dissiper la confusion mentale ordinaire propre aux états ordinaires de la conscience conditionnée, les yoga-sutras classent les causes fondamentales de la souffrance en cinq catégories:
1) L’ignorance (Avidya)
C’est l’ignorance de notre véritable nature, nature que l’on peut formuler ainsi: « nous sommes un seule conscience universelle, transcendant notre état corporel et notre état mental. »
La méditation sur la transcendance, sur l’infini, sur l’éternité sont les outils habituels de la méditation yogique traditionnelle classique. (La méditation yogique bouddhique sur la vacuité et l’impermanence, aussi digne et légitime qu’elle soit, n’est pas « classique » dans la perspective des yoga-sutras. Cf Yoga bouddhiste et yoga hindouiste).
2) L’ego (Asmita)
C’est l’identification (trop exclusive) à notre seule individualité.
3) L’attachement (Raga)
C’est l’attachement (trop exclusif) aux plaisirs dont on attend tout.
4) L’aversion (Dvesha)
C’est l’aversion ou la répulsion envers la douleur que l’on fait tout pour éviter, sans vouloir admettre qu’elle est inhérente au fonctionnement normal de l’être humain.
5) La peur de la mort (Abhinivesha)
C’est la tendance profondément enracinée à s’accrocher à notre vie individuelle limitée sans envisager ni rien d’éternel, ni rien d’infini, ni rien de transcendant en nous. C’est l’ignorance de la spiritualité (de notre dimension spirituelle éternelle) qui nous fait nous attacher compulsivement à un monde périssable, sans avoir la sagesse de trouver l’éternité ailleurs.
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Le yoga vise à dépasser nos conditionnements mentaux, nos « croyances limitantes » pour atteindre l’état de liberté intérieure. Ce qu’on appelle kaivalya, l’isolement intérieur libérateur qui reste immuable quels que soient les objets extérieurs sur lesquels la conscience ordinaire se fixe. Le mot « isolement » n’a pas ici le sens négatif de repli sur soi traduisant une incapacité à se supporter et à supporter le monde, mais le sens positif de « désengagement de la conscience pure vis-à-vis de tous les conditionnements du mental ordinaire. »
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