
Depuis notre naissance et le premier souffle en forme de sanglot crié qui nous désigna à l’attention de notre entourage, la respiration n’arrêta plus jamais de façonner tout un arsenal de réflexes vitaux : crier, téter, déglutir sans fausse route, pousser sur le pot le souffle coupé, faire son rot, ne pas respirer sous l’eau, faire le mort, babiller, parler, chanter, sonoriser ses émotions à l’aide de bruits variés, elle est longue comme le bras la liste.

La respiration et tous ses produits dérivés (spéciale dédicace à la parole articulé et à l’expressivité phatique) nous servent, depuis le départ, de puissante interface avec le monde mais, à part ça, toutes les variations possibles de l’acte de respirer entretiennent religieusement le lien le plus indéfectible qui soit: le lien à notre corps.
Faire du yoga c’est expérimenter le lien entre notre volonté consciente et cette seconde volonté parallèle qui est celle du corps. Dans la profonde nuit organique où tous les organes sont gris, règne le grand monarque originel.
Depuis toujours, nous vivons sous sa loi plutôt que lui sous la nôtre.
La preuve : au jeu de l’apnée volontaire, c’est lui qui décide que ça a assez duré comme ça.

Chaque être humain (chaque être respirant doté d’un système nerveux somatique et d’un système nerveux autonome nettement différenciés) peut faire l’expérience spirituelle décisive des limites de l’ego et du libre arbitre en essayant de retenir sa respiration, pour voir ce que ça fait.
Ce que ça fait, c’est qu’on réalise que ces deux volontés qui nous habitant peuvent à tout instant entrer en conflit.
D’un côté, il y a notre corps qui adore rester dans les clous du bien-être physiologique et, de l’autre, il y a la volonté qui se rêve pure, qui rêve de s’affranchir de toute limite en essayant tous les trucs possibles pour ne pas céder sur son désir, notamment en cherchant à reproduire dans des gadgets technologiques tous les super pouvoirs des autres espèces.

Faire l’expérience de l’échec de toute apnée volontaire, c’est reconnaître la toute puissance de la souveraineté du corps. Jamais personne n’a réussi à se suicider par apnée, ni consciemment ni volontairement.
Se laisser mourir de faim est beaucoup plus facile (et plus dangereux). Le corps en s’épuisant progressivement plonge progressivement la conscience dans un lourd sommeil anesthésiant. On meurt vidé de sa propre volonté.

Quand ma volonté consciente décide de ne plus respirer, ma volonté inconsciente de rester en vie coûte que coûte (mon instinct d’autoconservation pour ne pas le nommer) finit rapidement, manu militari, par la remettre à sa place et à lui signifier que la volonté « pure » est une fiction.

Faire l’expérience de l’apnée volontaire, c’est échanger la volonté nous affranchir du corps contre la volonté du corps de s’affranchir de nous.