1) La liberté, au sens originel du mot, est exclusivement citoyenne.
Le mot « liberté » vient du latin « libertas », qui est lui-même dérivé du mot « liber », signifiant « homme libre » par opposition à « servus » qui veut dire « esclave » (d’où le mot « servitude »). Si on remonte encore plus loin, on atteint une racine indo-européenne profondément significative (« leudh » ou « leudhero ») qui renvoie à l’idée d’appartenance à un peuple, à une communauté de semblables.
Les femmes, du temps des Romains, étaient « liberae » (« libres ») mais leur liberté était restreinte, soumise à la tutelle masculine, au régime patriarcal dans toute sa splendeur, elles étaient « libres » mais moins libres que les hommes.
Les enfants « liber », les enfants « libres », de leur côté rentraient dans la catégorie exclusive des enfants légitimes, c’est-à-dire inscrits dans une continuité familiale officielle, publiquement reconnus par leurs parents, ce qui leur donnait le droit de légalement hériter. Un enfant né hors mariage ne devenait pas automatiquement esclave mais ne bénéficiait pas de droits civiques complets.
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Comme on peut le constater, à l’origine, étonnamment, être « libre », c’est non pas renoncer à son statut de citoyen en dédaignat les droits et les devoirs qui vont avec, au nom d’une aspiration spirituelle antisociale, mais, bien au contraire, c’est ancrer totalement son sentiment de liberté dans un statut juridico-social voulu et assumé.

Être libre, dans le droit romain, c’est être une cellule totalement dépendante et intégrée dans le tissu social, seul à même d’attribuer tous les droits qui conditionnent la liberté.
Être libre, c’est jouir de droits sociaux qu’on possède de plein droit. C’est avoir le droit de voter, le droit de candidater pour être élu, le droit de signer des actes juridiques, le droit de porter plainte en justice, le droit d’être défendu contre une décision arbitraire, le droit d’avoir les mêmes droits que les autres.
De nos jours, la liberté des femmes passe nécessairement par l’acquisition des mêmes droits que les hommes, la liberté des minorités sexuelles passe par l’acquisition des mêmes droits que les hétéros, la liberté des handicapés passé par l’acquisition des mêmes droits que les valides.
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Concernant le yoga et les handicaps de toute nature, la libération de la parole autour des questions d’inclusion, d’autonomisation et d’acceptation des personnes en situation d’handicap est un enjeu sociétal majeur en vue d’améliorer leur représentativité dans l’ensemble des structures sociales.

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Être libre, ce n’est pas vivre sans règles, c’est vivre sous des lois qu’on a le droit, en tant que citoyen à part entière, de discuter, de contester, de chercher à changer.
Être libre, au sens classique, c’est tout le contraire de l’indépendance, c’est jouir de l’interdépendance sociale, de la solidarité sociale, de la sécurité sociale entendue au sens large. En bref, être libre c’est avoir les mêmes droits que tout le monde sans être discriminé.
2) La liberté des oiseaux n’est pas la liberté qu’on imagine.
Le sens moderne individualiste du mot liberté (« je suis libre parce que je ne dépends de personne ») vient des Lumières et du Romantisme. À partir de cette époque, on s’est mis à regarder les oiseaux avec notre soif romantique d’absolu, avec une absence exponentielle de conscience écologique, avec une ignorance décomplexée de tous les réseaux d’interconnexion du vivant.
Les oiseaux dans le ciel n’ont jamais été « libres » au sens romantique, ils ont toujours été profondément sociaux. Même un oiseau apparemment « libre dans le ciel » est toujours inscrit dans un système de relations, avec ses congénères, avec son environnement, avec les rythmes de la nature. Il ne vole pas dans une abstraction vide, il vole dans un monde tissé de signes, d’alertes, de besoins, de réponses. L’oiseau dans le ciel est libre, mais pas détaché.
Jonathan Livingston le goéland de Richard Bach explore le lien entre la responsabilité vis-à-vis des autres et notre responsabilité vis-à-vis de nous-même.

3) La liberté « matérielle » c’est la jouissance des biens et des liens « matériels ».
La liberté, de nos jours, c’est d’abord la santé, la santé du corps et de l’esprit.
Avoir toutes ses facultés intellectuelles pour savoir qui on est, où on va, d’où on vient, ce qu’on cherche.
Avoir toutes ses facultés physiques pour se déplacer, aller où on a envie d’aller, partir si on souhaite partir, rester si on souhaite rester.
Être indépendant des choses dont on ne veut pas être dépendant. Être dépendant des choses et des êtres qu’on aime et qui nous aiment aussi (de préférence). Tous les liens, sociaux, tous les liens affectifs sont des liens de dépendance qui nous font nous sentir libres. Dès que nous sommes isolés, coupés des autres, nous perdons le goût de vivre et la liberté se vide de toute saveur. Nous n’attendons plus qu’une chose, c’est de nouer un lien avec un semblable, un être proche de nous.

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Si on n’a pas -ou plus- toutes ses facultés, si on manque d’autonomie, si on dépend un peu -ou beaucoup- des autres, on peut quand même se sentir libre. À condition d’avoir la chance que ceux qui nous aident soient heureux et fiers de nous aider.
Les aidant construisent leur liberté à eux en nous aidant à construire notre liberté à nous.

Être libre ce n’est pas dépendre de personne, c’est dépendre de gens et d’êtres qui nous aiment tels que nous sommes. Être libre c’est tous consentir à cette interdépendance heureuse qu’est la nature quand elle est épanouie.
4) Les trois types de liberté matérielle
Il y a la liberté de la santé physique, la liberté d’un corps aux limites duquel, à la santé duquel, on est (plus ou moins) habitué.
Il y a liberté de la santé mentale, la liberté d’un mental aux limites duquel on est (plus ou moins) habitué. La mémoire fait son travail, le moral n’est pas mauvais, l’envie de vivre perdure.
Il y a la liberté de ce qu’on peut faire avec un corps dans le monde, un monde aux limites duquel on est (plus ou moins) habitué.
La liberté matérielle extérieure est la capacité d’avoir et de faire ce qu’on veut dans le monde, sans être entravé par les désirs chimériques de sa prison mentale. La liberté matérielle, c’est la capacité d’agir de manière lucide, sensée, pragmatique, de faire des choix éclairés, de déjà posséder la plupart des choses que l’on désire (aller prendre l’air et admirer le ciel).
C’est aussi la possibilité de s’exprimer pour dire ce qu’on a à dire et de se construire la vie qu’on a toujours voulue. La liberté matérielle ne va pas sans conditions préalables à remplir pour qu’elle puisse s’exercer, c’est pourquoi on l’a dit « conditionnée », au sens où se, sentir totalement libre, matériellement parlant, dépend de facteurs extérieurs tels que l’âge, la santé, la société, les lois, les circonstances, les talents, les dons, le charisme personnel.

« La liberté est anarchie, parce qu’elle n’admet pas le gouvernement de la volonté, mais seulement l’autorité de la loi, c’est-à-dire de la nécessité.(Pierre-Joseph Proudhon, Discours à l’assemblée nationale du 31 juillet 1848)
La formule « la liberté est anarchie » choque car dans le langage courant, l’anarchie est souvent associée au chaos. Mais ici, le mot « anarchie » est pris dans un sens philosophique plus précis: l’absence de gouvernement arbitraire, c’est-à-dire l’absence de domination d’une volonté sur une autre.
Le « gouvernement de la volonté » c’est le gouvernement autoritaire qui fait usage systématiquement de la force policière. Pour Proudhon, anarchiste classique, l’anarchie c’est l’ordre sans le pouvoir centralisé. Gouverner par la volonté, c’est exercer un pouvoir arbitraire, contingent, donc non rationnel et potentiellement injuste.

Spinoza rejoint Proudhon, l’être humain libre agit par la nécessité de sa nature, en comprenant les causes des choses. La liberté ne s’oppose pas à la nécessité: être libre, c’est comprendre et agir selon la nécessité.

« L’homme libre est l’homme qui n’a plus d’autre maître que lui-même. Mais celui qui se soumet à des principes et à des idéaux, celui-là est esclave. » (L’Unique et sa propriété, chap.2)
Stirner, penseur de l’individualisme radical, a un rapport sauvage à la liberté, totalement décalé par rapport aux philosophes du « vivre ensemble » (Spinoza, Hegel, Proudhon, etc.) et bien évidemment avec le yoga qui n’a jamais osé affirmer une telle sécession avec le bon sens.
Être libre, c’est se rebeller contre toute forme d’autorité extérieure: la Loi, l’État, la Morale et même la Raison.
Être libre c’est affirmer sa singularité sans se référer à un ordre supérieur.
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Qu’est-ce que la liberté spirituelle?
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La liberté spirituelle (intérieure) est la reconnaissance que notre être profond est déjà libre, serein, détaché de tout ce qui pourrait lui nuire, détaché des hauts et des bas de la vie, des réussites et des échecs de la liberté matérielle. La liberté intérieure se fiche pas mal de qui je suis, de ce que je fais ou pas de ma vie, de ma réussite personnelle et sociale, de ce que j’ai fait ou n’ai pas fait dans le passé, de ce que je fais ou ne fais pas dans le présent, de ce que je ferai ou ne ferai pas dans le futur. La liberté spirituelle est indépendante des revers de la vie, de ce que je possède aujourd’hui et de ce que j’ai pu posséder un jour et que j’ai définitivement perdu.
Au fond, la liberté spirituelle n’est rien d’autre que la liberté matérielle mais élaguée des désirs impossibles.
La liberté matérielle, c’est vouloir et pouvoir changer ce qui m’entoure en ne renonçant jamais à trouver des portes de sorties aux problèmes.
La liberté spirituelle, c’est être consolé de ne pas toujours y arriver par l’habitude qu’on a prise avec le yoga de célébrer la vie à travers chaque essai.

Être libre spirituellement, c’est être heureux d’être en vie, même potentiellement dépossédé de tout, c’est-à-dire déjà potentiellement mort (mort qui arrivera, un jour ou l’autre, en temps et en heure).

la posture du cadavre,
la posture de la dépossession de tout,
la posture de l’acceptation de la mort
À la mort, on peut s’identifier un instant, pour sentir que la mort ne nous affole pas outre mesure. Le moment n’est pas encore venu: c’est ce qu’on constate en méditant sur la mort, sur la perte définitive de tout, des autres et de soi. La vie continue.
Être libre, c’est pouvoir évoluer sans cesse, parce qu’on n’est pas prisonnier de ce à quoi on s’identifie.

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