*
Vous pouvez lire aussi:
Les cinq causes de la souffrance
Doit-on se libérer aussi du plaisir pour se libérer de la souffrance?
La vie vaut-elle le coup d’être vécue?
*
Le Yoga (et le système philosophique du Samkhya qui l’accompagne) propose une voie de libération de la souffrance à travers la discipline du corps et de l’esprit, la sage reconnaissance de la réconciliation impossible entre Purusha et Prakriti, l’extinction progressive des perturbations mentales.
Mais il arrive que la pratique du yoga ne remplisse pas nos attentes: on veut autre chose, on reste à l’affût d’une technique plus efficace, on se sent vide et on compense ce vide comme on peut, en grignotant devant l’écran, abonné à nos petites addictions qui essayent de combler le manque sans jamais y parvenir. Alors on continue, dans l’attente, dans l’espoir d’autre chose. Mais quoi?
On est autre chose que ce qu’on est, on voudrait faire autre chose que ce qu’on fait, on voudrait être considéré pour autre chose que ce qu’on a à montrer.
On désire autre chose: l’amour, la réussite, le savoir, la connaissance, la reconnaissance. On cherche, on ne trouve pas, on continue à chercher.
On vient au yoga avec cet espoir brûlant de plénitude et on se rend compte, tôt ou tard, que la plénitude manque même à notre pratique.
Le yoga, ça veut dire pourtant « union » mais union à un soi heureux pas à un soi absent! On nous aurait donc menti?

*
Le vide intérieur, il y en a qui ont l’air de bien le colmater: avec des certitudes, avec une vie bien remplie, avec des routines, avec des habitudes, avec des responsabilitës, avec des dates soigneusement cochées sur un carnet de rendez-vous bleu, avec des sujets de conversations, avec la foi de faire ce qu’on peut pour s’en sortir et aider les autres à s’en sortir aussi, ensemble.
La sagesse, c’est bien simple. Au fond, on est comme tout le monde.
Être solide, fiable, responsable, se rendre utile, ce n’est pas ça le sens de la vie?
Le conformisme, pourquoi en avoir honte? Chacun n’est pas fait, après tout, pour être différent de tous les autres.
*
La vérité, c’est que la condition humaine, c’est composer sans cesse avec un vide central, une éternelle absence de mode d’emploi, autour de laquelle on tourne, en attendant que le vide parle et qu’il nous donne des instructions claires, qui nous parlent et nous dirigent là où on veut aller, là où la vie tient ses promesses.
Le yoga, si ce n’est pas la plénitude, c’est quoi? Tourner en rond dans un cercle de postures? Méditer au bord du gouffre sans jamais tomber dedans? Tourner autour du pot en enfilant des poncifs? Faire sa petite promenade quotidienne, avec son corps qui a besoin de faire ses besoins, en sachant bien qu’on ne sort pas de la cuisse de Jupiter?
*
Le vide intérieur, le vide impossible à combler, dans les traditions indiennes, il est valorisé, sacralisé. Il est paix, vérité, conscience pure. Il est point de contact avec la grande sérénité de l’être qui accepte son vide et lui rend hommage. Loin de la folie de vouloir tout avoir, tout faire, tout savoir, tout pouvoir, tout être.
Dans le monde du yoga, l’idée court que ce sont les pensées le problème. Il suffirait de faire le silence en soi pour l’atteindre, la plénitude d’un présent heureux qui se suffit à lui-même.
Pour ce faire, la recette est simple: se lever le matin, observer un peu sa respiration, observer un peu son corps, sentir qu’au fond on ne sait pas grand chose, qu’on ne trouvera jamais le mode d’emploi ultime de la vie sur Terre. Conduire sa barque à travers des postures parfaitement imparfaites, à travers l’espace et le temps et, le soir venu, aller se coucher pour retrouver la délicatesse de la nuit, infiniment fragile avec, au centre, l’étoile heureuse de la présence nue.
Alors, on pense à Purusha, on vacille encore un peu, rituellement, entre la pleine conscience jamais vraiment pleine et la « vide conscience » jamais vraiment vide.
Le vent se lève. Comme un navire qui vient de lever l’ancre, entre Prakriti et Purusha, le cœur balance, il bat, il bat, il bat.
*
***