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Purusha et Prakriti

Purusha et Prakriti sont les deux principes métaphysiques, éternels, absolus, irréductibles l’un à l’autre, décrits dans l’un des textes fondateurs du yoga, la Samkhyakarika d’Ishvarakrishna, 72 strophes (dont deux introductives) qui décrivent la formation du monde à partir de la juxtaposition éternelle de deux principes irréconciables: le vide intérieur insaisissable et l’idéal d’une plénitude de l’être jamais atteinte.

Il faut savoir que les 72 strophes de la Samkhyakarika canonique ont été glosées par les commentateurs ultérieurs (Gaudapada et surtout Vacaspati Misra), lesquels, influencés par le Védanta et sa conception non duelle de la conscience universelle, ont émoussé la dimension essentiellement non relationnelle de Purusha

Il n’existe pas de bonne édition critique française de la Samkhyakarika, les éditions de Bernard Bouanchaud et de Laurent Jouvet traduisent le texte glosé et ignore la nécessité de rendre au texte nu canonique.sa spécificité énigmatique.

Dans le texte de la Samkhyakarika canonique non glosée, Purusha n’est ni la « conscience pure » (caitanya, cit), ni le « Soi » (Atman) ni le « voyant » (drashta), ni l’ »observateur silencieux », ni le « spectateur », ni la « lumière », ni le »témoin », (sakshin). Toutes ces interprétations sont fautives et ont été importées dans le texte original dans le seul but de s’accorder au Védanta qui veut voir de la conscience partout et confond allègrement la conscience avec ce qui est, par principe, profondément hostile à la conscience: la souffrance et l’angoisse inconditionnelles.

Contrairement à ce que disent les commentateurs officiels du texte racine, Purusha n’est pas la conscience qu’il faudrait libérer de Prakriti, encore moins l’esprit qu’il faudrait libérer de la matière.

Prakriti n’est pas la matière dont l’esprit voudrait se libérer, Prakriti est l’imbrication éternellement indissociable de l’esprit et de la matière. Purusha, de son côté est tout le reste. Ni esprit, ni matière, Purusha tout ce qui ne peut pas être dit, pas compris, pas montrable, pas imaginé, pas vu, pas pensé, pas symbolisé, tout ce qui menace de faire mal de toutes les manières possibles.

Purusha est le principe d’altérité absolue qui ne ressemble à rien et surtout pas à Prakriti qui est à la fois le principe du monde et de la conscience subjective.

Purusha n’est affecté ni par la conscience qui perçoit, ni par le monde symbolique et la réalité matérielle qui sont perçus.

Toute relation directe avec Purusha est impossible. Sur un plan subjectif, Purusha est le principe de notre division intérieure, sans rélle unification possible.

On peut faire tout le yoga du monde, s’efforcer de se réconcilier avec soi-même, avec les autres et avec le monde de toutes les manières possible, jamais Purusha, le principe éternel de la souffrance et de l’impuissance n’en sera changé d’un iota. On ne se réconcilie pas avec la mort et la douleur, on apprend juste à vivre avec.

La bonne nouvelle, c’est que même si Purusha est inaccessible et indestructible, on peut changer son rapport à lui.

Même si se libérer définitivement de la souffrance est impossible, changer son rapport à la souffrance est par contre possible.

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Le yoga est l’élaboration d’une conjonction inédite entre Prakriti et Purusha qui:

1) d’un côté agit sur Prakriti (Yoga postural purificateur) en explorant, dans son cadre bienveillant)(non violence, non possessivité), le champ d’impact, sur les fluctuations mentales et corporelles, d’une souffrance mesurée, en vue de les purifier de leur trop plein de résistances et de dénis,

2)de l’autre côté, médite sur Purusha (Yoga postural méditatif), le principe inaliénable de la souffrance en s’y exposant par la danse de Prakriti, en sortant de sa zone de confort, en prenant des risques, en se mettant en danger, en se confrontant à sa part d’ombre, à la limite entre conscience et « perte de conscience », entre désir de continuer et désir d’en finir, dans la zone sacrée du clair-obscur.

Saint Jérôme écrivant, Le Caravage, 1606

Purusha n’est pas lumière, Purusha est l’obscurité qui rend à la lumière de Prakriti son éclat.