Le yoga se distingue de la gymnastique (et du sport en général) parce qu’il donne la même importance au développement spirituel qu’au développement physique et mental.
En plus de la connaissance des techniques, principes, croyances et dogmes propres à la tradition du yoga, on entend par « développement spirituel », le renforcement de la capacité de conscientiser toutes ses appartenances identitaires (famille, région, pays, culture transnationale, etc.) et de se poser tout spécialement la question du sens de la vie: le sens de la vie en tant qu’individu, en tant qu’espèce, en tant qu’être vivant, en tant que manifestation (locale et provisoire) de l’univers (global et éternel).
En accord total avec le projet d’émancipation individuelle voulue par le principe démocratique républicain issu des Lumières, le yoga enseigné en France pose en principe fondamental l’esprit critique, l’incitation à penser par soi-même, de peser le pour et le contre de tous les dogmes et de toutes les techniques de tout ordre, venant d’un enseignant de yoga ou d’ailleurs.
Du point de vue où se situe le yoga moderne, la spiritualité est devenue compatible, sans restriction, avec la science, la technologie, la philosophie, les sciences humaines et, faut-il le rappeler, avec la pratique religieuse (tant que les dogmes religieux ne s’opposent pas à l’esprit scientifique.)
À tout âge, même et surtout en fin de vie, être vivant et en bonne santé, c’est rester curieux, ouvert, concerné, inspiré par tout ce qui se passe en soi et autour de soi. La vie, c’est le mouvement, le changement, le progrès perpétuel (ancré sur une nécessaire couche de routine), c’est le souci de la vie des autres, le développement autant social que personnel et « impersonnel » (spirituel).
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Les trois lois de la thermodynamique
La thermodynamique est la branche de la physique qui étudie les échanges d’énergie et la transformation de l’énergie.
Le yoga, lui, est la conscientisation et la maîtrise de l’énergie, quantifiable (nos constantes physiologiques) et non quantifiable: l’énergie « morale » (avoir plus ou moins le moral), culturelle (être motivé par tout ce qu’on fait, lit, voit, entend), relationnelle (être bien entouré, avoir une vie affective digne de ce nom).
1) Première loi de la thermodynamique: la loi de conservation de l’énergie
La première loi stipule que l’énergie ne peut être ni créée ni détruite, elle se conserve globalement, en se transformant sans cesse d’une forme à une autre.
Cette loi est parfaitement compatible avec la spiritualité indienne qui place sur un piédestal le transcendant, l’absolu, l’éternel, le non né, le non mortel et enseigne à distinguer la part d’éternité (la fameuse « beauté intérieure ») de tout phénomène fugace. Cf la notion de prana et les couples purusha-prakriti (yoga-sutras et samkhya), Shiva-Shakti (textes tantriques) et brahman-atman (advaïta vedanta.)
L’énergie telle que la conçoit la thermodynamique ressemble aux concepts indiens de manière saisissante. Comme l’âme, l’énergie est immortelle, elle passe d’une forme mortelle à une autre, sans augmenter ni diminuer en quantité du point de vue de l’univers entier.
On comprend qu’il vaut mieux pour nous, « pauvres mortels », nous identifier à l’énergie universelle et éternelle, quel que soit le nom spirituel qu’on lui donne, plutôt qu’à tout ce qui est voué à disparaître: à commencer par ce qu’on appelle l’ego: notre corps et notre identité, tous deux périssables, sauf bien-sûr sous forme d’enregistrements, de traces écrites, de documents audiovisuels et, pour quelques années encore, de souvenirs de plus en plus vagues. Jusqu’à ce que l’intelligence artificielle clone notre personnalité et notre apparence de manière satisfaisante.
Précisons que la persistance de l’identité personnelle après la mort (au paradis ou dans un nouveau corps d’adoption) est une croyance populaire vieille comme le cerveau humain, très présente évidemment dans la spiritualité notamment chrétienne mais incompatible avec tous les enseignements classiques du yoga.
Dans la tradition du yoga, on parle plutôt de l’atman, de l’âme impersonnelle, du soi véritable, pur, éternel et distinct du corps. Selon cette vision, l’atman ne meurt pas avec le corps, il traverse différentes incarnations en suivant la loi du karma. La Bhagavad Gita, par exemple, dit que tout comme on change de vêtements, l’âme change de corps.
On peut tout à fait modernisé la notion d’ »âme » et lui substituer la notion (moderne) d’ »énergie » et ainsi réconcilier la spiritualité du yoga et la science. Cela suppose que toute relation énergétique avec l’environnement se produisant à tout moment de la vie peut se voir comme un processus permanent et pre-mortem de désincarnation et de réincarnation, dont la mort n’est pas nécessairement le moment le plus marquant. Par exemple, écrire ces lignes, lire ces lignes, être un minimum influencé par ces lignes, cela relève d’un processus de transfert d’énergie vitale (de « désincarnation » et de « réincarnation » ordinaire qui passe par le langage, par la communication quotidienne.
2) Deuxième loi de la thermodynamique: la loi de l’entropie
La loi de l’entropie stipule que dans un système isolé, l’entropie (le « désordre » au sens de la physique) tend à augmenter avec le temps.
Dans le langage de la physique, le « désordre » c’est l’énergie dispersée, non concentrée, indisponible pour produire un travail utile. En apparence, le « désordre entropique » peut paraître ordonné, sans rien de chaotique mais, en réalité, il a perdu toute potentialité, toute contradiction interne, toute dualité.
Quand on dit qu’un système est « désordonné », ce n’est pas parce que l’énergie ne travaille pas, mais parce qu’elle n’est plus disponible pour produire du travail utile. Ce n’est pas un désordre chaotique, mais plutôt une perte de potentialité. L’énergie est encore là, mais elle est dispersée, donc non exploitable.
La notion de néguentropie
Le mot « néguentropie » (ou « entropie négative ») a été introduit par le physicien Erwin Schrödinger dans son ouvrage « Qu’est-ce que la vie? (1944). La néguentropie c’est la capacité des systèmes vivants ouverts (ouverts sur leur environnement) à s’organiser, à créer et à maintenir de l’ordre localement, en luttant contre la tendance universelle à l’entropie croissante. La matière vivante dans son principe cherche à se soustraire à la désintégration qui conduit à l’équilibre thermodynamique en consommant l’environnement pour relancer les gradients énergétiques internes.
Un gradient énergétique, c’est une différence d’énergie entre deux zones(chaud-froid, haut-bas, acide-nasique, tendu-détendu, etc.) qui engendre un flux ou un mouvement.
Schrödinger est proche de la conception hindoue du brahman, dans laquelle la conscience de chaque individu n’est qu’une manifestation de la conscience unificatrice qui habite l’univers entier.
Le paradoxe de Schrödinger
Selon le deuxième principe de la thermodynamique, tout système fermé tend à s’approcher d’un état de désordre maximum. Alors pourquoi la vie tend-t-elle à atteindre et maintenir un état hautement ordonné, ce qui semble contredire le deuxième principe?
La solution de ce paradoxe est que la vie n’est pas un système fermé mais un système ouvert. L’accroissement de l’ordre à l’intérieur d’un organisme est largement compensé par l’accroissement du désordre à l’extérieur de cet organisme. La vie maintient physiologiquement un ordre élevé en causant un accroissement du désordre dans l’environnement.
On peut formuler la loi de la néguentropie: selon cette loi, l’ordre augmente avec le temps dans un système vivant mais l’entropie augmente encore davantage à l’extérieur.
Alors, le yoga est-il du côté de la vie néguentropique ou de l’univers entropique? Les deux, mon capitaine! Faire du yoga, c’est renforcer la lutte contre la mort mais c’est aussi se préparer à la mort du de tous les organismes dans l’univers, prévu dans des milliards de milliards d’années. C’est long l’éternité!
L’hypothèse dissipative de la thermodynamique
Tout phénomène énergétique n’est jamais « dissipée » au sens de « anéantie ». Toute vie, toute énergie vitale est recyclée d’une manière ou d’une autre mais devient, au fil du temps, de plus en plus difficile à transférer, à être utilisée pour produire du « travail » (comme celui de faire briller une étoile, de faire vivre un organisme, de démarrer une machine quelconque).
C’est ce qu’on appelle la « mort thermique de l’univers »: une situation où toute l’énergie est uniformément répartie, sans différence de température, donc sans plus, aucune possibilité d’action nouvelle. Comme l’action s’appelle « karma » dans la tradition indienne, on peut avancer que la finalité lointaine de l’univers (dont la vie est une modalité) est d’abolir le karma, de le dissiper dans un état suspendu d’éternité uniforme. En attendant l’éventualité d’un nouveau Big Bang.
Selon Erwin Schrödinger, comme on l’a vue, et selon le Prix Nobel Ilya Prigogine, les êtres vivants sont des structures dissipatives, des systèmes ouverts qui consomment de l’énergie (comme la lumière du soleil ou des composés chimiques) pour maintenir leur ordre interne tout en augmentant l’entropie de leur environnement.
Au niveau de l’univers dans son ensemble, l’émergence et la prolifération des formes de vie organique est cohérente avec la tendance globale à l’augmentation de l’entropie.
La vie, l’ensemble des êtres vivants transforme l’énergie rencontrée sous forme concentrée en énergie dispersée. Quand nous mangeons, respirons, construisons une ville, faisons du yoga, que nous le voulions ou non, nous augmentons l’entropie autour de nous, même si localement nous participons au renforcement de l’organisation sociale et de notre structure biologique.
La, question écologique capitale du réchauffement climatique et de l’extinction massive des espèces pose la question de notre responsabilité en tant qu’espèce dans l’accélération de l’entropie extérieure.
Ce n’est pas parce que la finalité thermodynamique de l’univers est un froid proche du zéro absolu que nous devons devancer l’appel!
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Un technovitalisme lucide
Apparues il y a environ trois milliards et demi d’années,les premières formes de vie étaient autotrophes. Elles produisaient leur propre énergie, grâce à des réactions chimiques et plus tard grâce à la photosynthèse. Sont ensuite apparues des formes de viehétérotrophes se nourrissant de molécules organiques présentes dans l’environnement primitif riche en ressources chimiques.
De base, la vie cellulaire organique, est une manifestation « technique » d’identification, d’agencement et de réagencement, de transformation évolutive des composants de la matière.
Cette technicité, intrinsèque au vivant, est à l’origine spontanée et aveugle. Elle s’autorégule dans une conflictualité d’intérêts qui s’équilibre, vaille que vaille, dans des écosystèmes fragiles qui voient certaines espèces tenir dans la durée et d’autres passer l’arme à gauche de manière définitive. Ce qui est « éternel » , c’est la tendance de la vie à apparaître au cœur de la matière pour la recycler à l’infini en se reproduisant de manière de plus en plus complexe et consciente, jusqu’à la mort thermique de l’univers.
Sur le plan spirituel traditionnel, ce qui est tout aussi « éternel » selon nombre de textes anciens, c’est la tendance de la vie, dans certaines circonstances, à disparaître ou à refuser d’apparaître, dans l’attente de conditions favorables. Ne pas rentrer dans le samsara, sortir du samsara, jouir du samsara, souffrir du samsara. Quand toutes les options sont disponibles, c’est ce qu’on appelle la liberté absolue.
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La vie, aveugle de naissance(au sens où elle n’a pas la vue sensitive d’ensemble de l’équilibre global (ou du déséquilibre global) de ses manifestations) veut multiplier ses chances de survie, en optant pour la prolifération et la colonisation de l’environnement.
Le sens de la vie, c’est la diversité proliférante « colonisatrice ». La, question n’est pas de choisir ou non de coloniser l’univers dans un mouvement d’expansion infinie. La question est de savoir, avec quel niveau de respect et de protection des espèces concurrentes, en tout cas pour une espèce consciente, évoluée et savante comme la nôtre.
La reproduction animale est biologique, grâce aux hormones, à la sexualité, grâce à des processus de sélections génétiques profonds et opaques, mais aussi culturelle, par le biais de l’institution familiale, de l’éducation, du conformisme (au sens positif du terme) et de l’obéissance volontaire aux institutions. Humains et animaux, c’est pareil, au plan de l’univers.
Pour des biologistes comme Charles Darwin et ses successeurs (notamment Richard Dawkins), la vie n’a pas de sens préétabli, mais une direction fonctionnelle : assurer la survie et la reproduction des organismes, leur patrimoine génétique et leur patrimoine culturel.
Cette transmission évolue au fil du temps et transforme les unités génétiques et comportementales, dans une tension constante entre tradition et modernité.
Dans le Gène égoïste (The Selfish Gène, 1976), Dawkins propose une théorie de l’évolution selon laquelle
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