La politique est souvent considérée comme un obstacle à la sérénité intérieure. Elle est perçue comme fondamentalement injuste et corrompue et fondée sur des structures sociales elles-mêmes injustes et corrompues.
Le monde ordinaire est quête de maîtrise, pouvoir, puissance, contrôle, efficacité intensifié, rendement maximisé, appropriation, stress, inquiétude.
Il est généralement attendu du yoga qu’il détourne du monde humain politique pour réorienter l’attention vers un monde heureux:
1) Celui de la conscience pure qui ne se donne rien d’autre qu’elle-même, dans son infinie ouverture, dans son éternelle présence détachée de l’ego et du corps (Yoga traditionnel non postural, Raja yoga, yoga de Patanjali et du Samkhya)
2) Celui du corps pur qui se détourne temporairement du monde pour se célébrer lui-même, dans ses sensations, ses énergies, son souffle vital, ses mouvements et ses postures.
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Le yoga soutient symboliquement un système injuste qu’il ne remet pas en cause frontalement.
Mais en faisant du yoga, on mesure aussi la part de nous-mêmes qui n’adhère pas au monde tel qu’il est, qui est toujours, en décalage.
Le yoga moderne ne va pas nier le monde en soi mais l’orienter différemment, vers plus de présence, plus de discernement, plus de responsabilité.
La spiritualité n’est pas une rupture radicale avec le monde, ni une vérité supérieure. La spiritualité est un compromis, une ambivalence. La spiritualitë est une modulation intérieure du rapport à soi et au monde, l’élaboration d’un espace intérieur où le désir de contrôle et de domination est observé, questionné, déplacé. Ce n’est pas moins de contrôle, c’est un contrôle autrement orienté.
Prenons l’usage des pesticides et des herbicides. Pour entretenir mon jardin, pour soigner mon potager et désherber, est-ce que je me donne la peine de considérer la vie des animaux ou est-ce que je cherche juste l’efficacité immédiate?
Politique, le yoga ne l’est pas de manière officielle mais les questions de spiritualité qu’il porte (qui suis suis-je? Suis-je différent des autres? Suis-je d’accord avec tout ce qui se passe?) peuvent nourrir un combat politique intérieur et extérieur.
La pratique du yoga, dans sa version spirituelle, est théoriquement incompatible avec le manque d’empathie pour les autres habitants de la planète.
Le yoga porte un idéal de vie paisible, plus juste, plus équitable, plus intériorisé et sensible, moins conflictuel. Ce qu’on désigne sous le nom de spiritualité est un contre pouvoir du pouvoir de l’argent, de l’injustice, de la confiscation systématique des richesses au profit d’une seule partie du monde. La, spiritualité est une valorisation du partage et de la gratuité, une critique des plaisirs égoïstes.
Le monde, toutes espèces confondues (il n’y a que les moyens qui changent), est essentiellement colonial et sa cupidité vorace et inquiéte (manger avant d’être mangé) est tellement stressante qu’il faut la tempérer par l’art, la musique, la nature pacifiée. Et des pratiques « spirituelles » comme le yoga.
Dans un monde aussi inégalitaire que le nôtre, le niveau d’accès au confort et aux soins de certains êtres humains, est tel que le rêve dominant sur la planète est un rêve d’élévation matérielle, certainement pas un rêve d’élévation spirituelle.
La culture française est une culture de l’accès universel à un mode de vie bourgeois. Le mode de pensée bourgeois dominant n’est pas tourné vers le mystère, la gratuité, la méditation, la simplicité, la beauté du monde nue mais sur la quête de plaisir, de confort, de contrôle et de d défense des intérêts de son groupe d’appartenance.
Le yoga est un maillon dans une dynamique de pouvoir plus large, exactement comme l’art bourgeois du XIXème siècle, qui permettait à la classe dominante de cultiver une image de raffinement, tout en continuant à vivre des rapports de domination, sans songer à les remettre fondamentalement en question.
Le yoga est vécu, dans les classes bourgeoises, comme un doux rêve utopique nécessaire dont la fonction est finalement de légitimer les rapports de domination et d’appropriation qui seuls rendent possible le confort bourgeois et le plaisir des sentiment d’exception et de supériorité qui le caractérisent.
Le yoga est une activité à caractère spirituel visant à jouir de son petit confort avec une bonne conscience égoïste.
Dans les classes populaires non bourgeoises, la grande bourgeoisie est inaccessible. Par contre, le yoga va aider à supporter son niveau de vie.
L’idéal de vie bourgeois est l’accession à un certain niveau de richesse et de confort (et de mauvaise conscience), contrebalancée par une volonté de, se, rapprocher de ce, qui est raffiné pour cacher l’nstinct dominant de jouir et de dominer sous un vernis spirituel.
Le yoga permet de continuer à chercher du contrôle, du plaisir, de l’utilité, avec un supplément d’âme.
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Est-ce que ma pratique du yoga encourage le capitalisme à poursuivre son œuvre d’asphyxie continue en ménageant à ses adeptes, des moments de répit.
Suis-je une courroie de transmission du capitalisme?
Suis-je un grain de sable qui va empêcher le système oppressif de poursuivre son œuvre délétère?
Le capitalisme est un système économique fondé sur la propriété privée des moyens de production, la recherche du profit, et le marché libre comme régulateur principal des échanges. Il valorise la croissance, la consommation, la compétition, l’efficacité, et l’individualisme.
Le capitalisme pousse à désirer toujours plus, à consommer, à se distinguer, alors que le yoga pousse à se contenter de peu, à se détacher des désirs, à s’unir avec les autres et avec le tout.
Le yoga est en tension avec certains aspects fondamentaux du capitalisme, notamment l’accumulation et la compétition. Mais en même temps, certains aspects du yoga peuvent exister dans un cadre capitaliste comme la liberté individuelle ou la recherche du bien-être.
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