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Yoga spirituel et yoga social

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« Le yoga, c’est l’art de bien agir. »
(Bhagavad Gita, 2.50)

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Le yoga n’est pas une fuite du monde mais une manière de s’y engager avec justesse, non seulement vis à vis des autres êtres humains mais aussi vis à vis des autres espèces vivantes. S’engager dans le monde de manière juste nécessite de faire société avec l’ensemble du vivant.


Quel que soit le pays dans lequel il est pratiqué, le yoga repose sur une universalité éthique qui pose le développement spirituel comme accessible à chaque individu, indépendamment de sa situation dans le monde, de son appartenance sociale, politique et communautaire, de son « ego social ».
Le yoga est naturellement égalitaire, tout le monde sans exception peut s’engager dans la voie du yoga d’où qu’il vienne.

Mais une question fondamentale se pose: le yoga se résume-t-il à tenir pour négligeable sa position dans la société humaine et dans la société des espèces interdépendantes ?

En théorie, le yoga, comme toute pratique spirituelle, est un outil de dépassement de l’ego social mais, dans la pratique concrète, un aller-retour incessant entre le dépassement de l’ego social, toujours transitoire, et le retour à l’ego, tout aussi transitoire. Dans cet intervalle, l’ego social doit évoluer vers un idéal vécu, assumé avec ses obligations sociales, envisagées avec un certain détachement vis à vis des formes particulières qu’elles soient humaines ou animales, dans cadre hiérarchique où le détachement est supérieur à l’attachement mais un attachement suprême doit perdurer, c’est l’attachement à un monde pluriel, diversifié, riche et regorgeant de vie.

L’expérience montre que pour parvenir à se détacher de son rôle social, il est nécessaire d’abord de coïncider, le plus, exactement possible, avec lui, de ne pas se contenter de le subir mais de le choisir. Et comme il arrive parfois, quand on n’a pas le choix de faire autrement que de le subir, il faut alors envisager de le contrebalancer avec un rôle social complémentaire nous correspondant davantage (engagement associatif, pratique artistique, etc.)

Progresser spirituellement de manière harmonieuse n’est pas possible si l’on est incapable de se situer socialement à la place qui nous paraît la plus juste. Et cette place est toujours hiérarchiquement situé: soit obéir de bon coeur, soit diriger les autres de bon cœur.

Il va de soi que de rien n’empêche d’obéir dans un domaine de la vie et de commander dans un autre. En revanche, ne vouloir ni obéir ni commander est une position intenable, tant socialement que spirituellement. La base de la sagesse est obéissance consentie et joyeuse aux lois de la nature. Le yoga ne se résume pas à une contemplation métaphysique de l’éternel et de l’infini, au delà des formes, des identités particulières, dans un relativisme généralisé qui n’a comme seul point de mire l’absolu détaché de tout, mais à un jeu discipliné et exploratoire avec le corps, le mental, l’ego, l’environnement et le champ social.

Toutes les sociétés et les communautés sans exception reposent sur un ordre hiérarchique structurel interne (qu’elles remettent en cause ou non l’organisation sociale et politique dominante.)
Le yoga n’est absolument pas anti hiérarchique par nature, il reconnaît implicitement le caractère naturel de tout ordre social hiérarchisé avec le savoir et la sagesse en haut et l’obéissance au savoir et à la sagesse en dessous. La structure hiérarchique est assumée non comme une domination arbitraire, mais comme un repère nécessaire à l’engagement, au service, et au choix de la juste place de chacun.

Je propose ci dessous une structuration sociale universelle, non basée sur l’origine sociale mais sur le tempérament individuel (le « svadharma », le devoir propre, la nature sociale profonde et intime), une catégorisation hiérarchique du champ social, dans laquelle chacun peut reconnaître la place qu’il occupe ou la place qu’il souhaite occuper. La place la plus haute n’est occupée par personne, c’est la place des principes universels qui commande toute la hiérarchie descendante: le savoir, la sagesse, la connaissance de l’ordre hiérarchique naturelle des choses. La vision du monde comme un chaos indescriptible est profondément anti yogique.

Contrairement à une idée reçue, la démocratie qui pose la souveraineté populaire comme principe absolu se maintient nécessairement dans les faits par la reconnaissance implicite d’un principe supérieur à elle: la souveraineté de la biosphère.

Cf Déclaration des droits de l’homme et Charte de l’Environnement.

Voici donc une liste de cinq catégories sociales universelles valables pour toute société, pour toute communauté, où chacun peut se situer pour penser son développement spirituel sur une base stable.

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1) Les transmetteurs de l’ordre naturel des choses
Ils servent l’ordre naturel des choses en le pensant, le transmettant, en le symbolisant. L’ordre naturel n’est pas conservateur, il est structurel.
(Enseignants, intellectuels, artistes contemplatifs, sages)

2) Les défenseurs de l’ordre juste
Ils servent la justice, la protection, l’équilibre vivant de la société, en se référant aux garants de l’ordre juste.
(Protecteurs, écologistes, militants, soignants, éducateurs, réformateurs, révolutionnaires, policiers de l’ordre juste)

3) Les constructeurs
Ils servent la stabilité concrète du monde, par l’organisation et la création de structures qui font circuler les ressources.
(Entrepreneurs, artisans, gestionnaires, bâtisseurs, commerçants)

4) Les serviteurs
Ils servent directement les trois premières fonctions, dans des rôles discrets mais essentiels.
(Aides, assistants, ouvriers, techniciens, métiers d’exécution)

5) Les non-alignés
Ils ne se reconnaissent pas dans l’ordre établi et choisissent de s’en écarter, temporairement ou durablement.
(Personnes en retrait du monde social, alternatifs, marginaux, poètes, ermites, décroissants, anarchistes, critiques de l’ordre hiérarchique corrompue)

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Il serait tentant de considérer la cinquième catégorie comme la catégorie naturelle du yoga. Faire du yoga, en tant que voie spirituelle, consisterait à se penser en dehors du champ social, en relation privilégiée avec l’absolu. Mais tout développement spirituel est voué à l’échec sans ancrage dans un ego pacifié et assumé et sans ancrage dans une position sociale pacifiée et assumée. Il faut insister encore et encore sur ce point: le but du yoga n’est pas de se retirer du social, mais d’y jouer son rôle avec sagesse et justesse, de manière ouverte, informée, consciente des limites des perspectives traditionnelles, ce qui implique un certain sens de l’innovation et de la créativité, dans tous les sens du terme.

Le yoga est le lieu de la réconciliation entre l’aspiration spirituelle et la réalité sociale. Le retrait du monde n’est pas une fin, mais le moment d’un cycle,un temps de mise au point, de clairvoyance renouvelée, qui permet de revenir au monde plus conscients, plus alignés, plus authentiques, plus justes.

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